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CORRESPONDANT
— n*p. smoK racoh et coup.,
kcb u'mrur.Tif t i.
PARIS
LE
CORRESPONDANT
REGUEIL PERIODIQUE
RELIGION — PniLOSOPHIE - POLITIQUE
— SCIENCES —
LITTERATURE - BEAUX-ARTS
TOME SOIXANTE-CINQUI&ME
M LA OOLLBCTIOII
MUVBLLE 0EBIE — TOMB VIMfiT-XEifliMI
PARIS
CHARLES D0UN10L, LIBRAIRE-6D1TEUR
29, RUE DE TOURKOK, 29
1865
«
*
LE
CORRESPONDANT
I
LA VICTOIRE DU NORD
ADX STATS- UNIS
Pendant qu’aux demiers jours des dAbats sur l’Adresse un oratenr, a jamais illustre, charmait nos esprits et nos coeurs en plaidant la mei]- leure des causes ; pendant que, port6 sur les ailes de la justice et de la *6rit6, il planait A des hauteurs inaccoutumAes et y faisait planer tree lui son auditoire ravi, une nouvelle, heureuse et glorieuse entre tontes, traversait les mers et venait apporler aux Ames fidAlement Aprises de la liberty le frAmissement d’une joie et d’une consolation depois trop longtemps inconnues.
Le deuil immense qui est venu imprimer au triomphe des Etats dn Nord un caractAre sacrA, ne saurait rien changer A cette joie. Bile doit survivre A la consternation, A l'effroi qu’a produit dans tout l’unhrers l’assassinat du president Lincoln, victime immolAe sur l’autel de la victoire el de la patrie, au sein d’une de ces catastrophes
j. a*, t. nix (ut* n u MuxcT.) ln u*. 85 M*i 1805. 1
LA Y1CT0IRK DU KORD
souverainement tragiques qui couronnent cerlaines causes et cer- taines existences dune incomparable majesty, en ajoutant la gran- deur mystdrieus$ de l'expiation, et d’une expiation immdritde, aux verbis et aux gloircs que I’humanild estime le plus.
Saluons done avec une satisfaction sans mdlange l'heureuse vic- toire qui vient d’assurer aux Rtats-Uuis le (riomphe du Nord sur le Sud, e’est-i-dire du pouvoir legitime sur une rdvolle inexcusable, de la justice sur l’iniquitd, de la vdrild sur le mensonge, de la liberty sur l'esclavage.
On sail assez que nous n’avons pas l'habitude d’encenser la victoire, d’applaudir aux vainqueurs. C’esi la premidre fois que cela nous arrive depuis plus de trente ans ; l'on peut dire bien stir que nous n’abuserons pas de cetle nouveautd et que nous n’en ferons pas une habitude. Que l’on nous permetle done de nous livrer aujourd’hui sans reserve & une joie si rare, en rapprochant notre dmotion ac- tuelle de ces jours trop vile passds ou la Charte de 1814, l’aflhinciiis- sement de la Grice, l’dmancipalion des ealholiques anglais, la con- qudle de l’Algdiie, la crdalion de la Belgique venaient successive- raent orner la jeunesse de ce sidcle, rdjouir et fortifier les cceurs libdraux et marquer les dlapes du veritable progrds. Void de nou- veau, aprds un trop long intervalle, une victoire heureuse. Void, une fois du moins, le mal vaincu par le bien, la force qui Iriomphe au service du droit, etqui nous procure celte joiiissance singulidre et souveraine d’assister dds ce monde au succds d’une bonne cause servie par de bons moyens et gagnde par d’honndtes gens.
Remerdons done le Dieu des armies de celte gloire et de ce bon- heur. Remercions-le de cette grande victoire qu’il vient d'accorder, pour l’dternelle consolation des amis de la justice et de la liberld, pour l’dternelle confusion des diverses et nombreuses categories de ceux qui exploitent et oppriment leurs semblablcs par la servitude comme par la corruption, par le mensonge comme par la cupiditd, par la addition comme par la tyrannie.
Mais dijti j’entends lc murmure de la surprise, du mdcontente- ment, de la protestation. Mime dans le camp catholique, la cause du Nord a did, est encore impopulaire. Au bruit de sa victoire, ce cri honteux : Tant pis ! constatd par le Momteur au sein du Corps ldgislatif ', s’ est peut-dtre dchappd de plus d’une poitrine, de plus d’un cceur habitud a bait re comme les ntitres pour les causes que nous aimons et que nous servons depuis le berceau.
Faul-il done, nous demande-t-ou, faut-il done vraiment se rdjouir et bdnir Dieu de cetle victoire ? Rdpondons sans crainle : Oui, il le
♦ *
1 Dans son comple rendu de la seance du 16 anil 1865.
AUX &TATS-U1HS. f
but. Ooi, il Taut rernercier Dieu, parce qu’une grande nation se re- toe, parce qu’elle se puritie & jamais d’une 16pre hideuse qui servail de pr6texte et de raison & tous ies ennemis de la liberty pour la maudire et la difTamer ; parce qu'ellejustifie en ce moment loutes les esp6rances qui reposaicnt sur elle, parce que nous avions besoin d’elle, et qu’elle nous est rendue, repentante, triomphante et sauv6e.
Oui, il faut rernercier Dieu, parce que cette 16pre de l’esclavage a disparu sous le fer des vainqueurs de Richmond, extirp6e pour tou- joursduseul des grands peuples chreliens qui, avec I’Espagne, en fflt encore infectd; parce que ce grand march6 d hommes est ferm6, et encore qu’on ne verra plus jamais, sur le glorieux continent del’ Am6- rique septentrionale, metlre a l’ench6re une creature humaine, faite a I’image de Dieu, ponr 6lrc adjug6e et livrfee en proie, avec sa femelle et ses pelils, & l’arbitraire, & l’6goisme cruel, au lucre intone, aux files passions d’un de ses seinblables.
Oui, il faut rernercier Dieu, parce qu’en se relevant et en se pu- rifiant, l’Ara6rique a just ili6, honor6, gloritld la France et la politique frangaise, sa vraie politique, la vieille, honnfite et courageuse poli- tique dc nos meilleurs temps, celle qui jeta l‘61ite chevaleresque et liberate de la noblesse frangaise sur les traces de La Fayette, dans le camp de Washington ; parce que, la du moins, le g6n6reux d6voue- ment de nos p6res n’aura point abouti, com me silleurs, & un san- giant et cruel ovortcment; parce qu’il en r6sultc une couronne de plus pour Louis XVI, pour le roi martyr, pour celui qui a 616, lui aussi, parmi nous, la victime expiatoire d une grande r6volution, victime d’aulant plus touchante et plus sainte, qu'au lieu de dispa- raitrecomme Lincoln au milieu d’un deuil universel, elle a 616 ou- trage* avant d’etre immol6e, que ces outrages durent encore, et qu’6 ce litre elle entratne notre admiration et notre piti6 6 une hauteur ou il n'y a au-dessus d’elle que le Dieu crucifi6.
Oui, il faut rernercier Dieu, parce que, dans cette grande et terrible luttecntrela servitude et la libert6, c’est la lihert6 qui est rest6e victorieuse; la libert6qui, habitu6c parmi nous 5 tant de m6comptcs, de trahisons et de confusions, compromise et deshonor6e par tant de box amis et d’indignes champions, avail grand besoin d’une de ces grandes revanches qui font tout & coup 6claler a tous les yeux son inestimable m6rite.
Oui, il but rernercier Dieu, parce que, selon les r6cits les micux av6r6s, la victoire est rest6e pure ; parce que la bonne cause n’a 6t6 ni ternie par aucun exc6s, ni souill6e par aucun forfait ; parce que ses avocats n’ont point 6 rougir de ses soldats, ni ces soldats de leurs chefs, ni ces chefs de leur fortune; ni la fortune el!e-m6me d’avoir couronn6 de basses convoitises et de pervers com plots.
4
t
LA TICTOIRE DU NORO
Oui, enfin, il faut reraercier Dicu, parce que les aggresseurs ont 6t6 vaiacus ; parce que ceux qui ont les premiers tir6 l’6p6e, ont p6ri par l'6p6e; parce que l’impunit6 n’a pas 616 accord6e aux provoca- teurs d’une r6volte inique, d'une guerre impie ; parce que cette fois, du moins, il n'a pas suffi de l’audace et de la ruse pour se mo- quer des honn6tes gens ; parce que les auteurs du crime en ont 6t6 les victimes; parce qu’en passant le Rubicon de la 16galit6 ils ont trouv6 sur l’autre rive la d6faite et la mort ; parce qu’ayant risqu6 la fortune et 1’avenir de leur pays, avec une I6m6ril6 d’aventurier el une dext6ril6 de conspirateur, Yalea jacta est ne leur a pas profit6, et que dans ce jeu impie et sanglant ils n’ont pas r6ussi. Ils ont jou6 et ils ont perdu : Justice est faite.
I
Reprenons et insistons. Ne nous laissons pas 6tourdir par la d6- convenue momentan6e des adversaires de la cause am6ricaine et de la ndtre. Ne les croyons pas d6finilivement convertis ou 6clair6s. A ' mesure que l’6blouissante lumi6re qu’a projcl6e tout 6 coup sur l’Eu- rope la prise de Richmond, suiviede la mort tragique de Lincoln , vient k d6crottre ; 6 mesure que les nuages, ins6parables de toute vicloire el de toute cause humaine, apparaissent a l’horizon, nousen- tendrons de nouveau ces invectives, ces diatribes dont les £tats-Unis en g6n6ral, dont les £tats du Nord en parliculier ont 6t6 l’objet. La raillerie et la calomnie recommenceront 6 faire assaut pour ranimer cette malveillance de l’opinion que nous avons vue si habilement, si savamment entretenue au dedans et au dehors. Cette joie perverse, tanl de fois exha!6e par tous les ennemis de la libert6, depuis qu’on a pu croire k la chute de la grande r6publique, redeviendra bruyante et puissante, au premier embarras, 6 la premi6re faute de nos amis d’outre-mer.
Aujourd’hui tout le monde se d6fend de vouloir, ou m6me devoir jamais voulu le maintien de 1’esclavage , mais les arguments et les int6r6ts favorables a l’esdavage n’ont pas ccss6 de conserver leur empire.
Ce n’a pas 6t6 un m6diocre enseignement que de voir comment d6s les premiers jours oh le conflit a 6clal6 entre le Nord et le Sud, s’est op6r6 le classement des opinions. Je ne dis pas, 6 Dieu ne plaise, que tous les amis du Sud soient des ennemis de la justice et de la libert6; je dis encore bien moins que tous les partisans du Nord doi-
AUX tTATS-OWS.
vent etre pris pour de vrais et sincAres liberaux. Mais je dis qu’un instinct, involontaire peut-Alre, tout-puissant et invincible, a sur-le- champ, range du cdte des esclavagistes, tous les partisans avou6s oh secrets du fanatisme et de l’absolutisme en Europe; je dis que tous les ennemis patents ou secrets, politiques ou thAologiques de la li- berty ont Ate pour le Sud.
U seralt inutile et pueril de nier que les Etals-Unis comptent un , certain norabre d’adversaires par mi les catholiques, et cela malgrA les progrAs si prodigieux et si consolants du calholicisme dans cette republique, progrAs comme on n’en a vu nulle part ailleurs depuis les premiers siAcles de l’Eglise
Je me garderai bien d’approfondir les causes de cette unpopula- rity de l'Am&rique en gAnAral et des abolilionistes amAricains en parliculier. Get. examen me conduirait trop loin. Je me bornerai k remarquer que les hommes de mon Age ont toujours. rencontre sur lenr cbemin une opinion faussement religieuse et aveuglAmenl cooservalrice : c’est celle qui a Aid en 1821 pour la Turquie contre la Grice; en 1830, pour la Hollande contre la Belgique; en 1831, pour la Bnssie contre la Pologne ; c’est la mAme qui est aujourd’hui pour les esclavagistes du Sud, contre les abolitionistes du Nord. Les AvA- nements d’abord, puis les sympathies de la masse du clergA et des catholiques AdairAs par les AvAnements, ont inflige a cette tendance de cruels dementis et d’huroiliantes retractations, sur la question orientale, la question beige et la question polonaise. Je suis con- vainco qu’il en arrivera de mAme, un jour ou l’autre pour la ques- tion amAricaine.
Mais s’il est f&cheux d’arriver souvent si tard au secours de la justice el de la verity ; si, h l’exception du savant et eloquent doc- tear Brownson, nous ne decouvrons parmi les catholiques des Etats- 0n is, aucun champion de l’emancipation des noirs, nous avons au moins la petite consolation de pouvoir constater qu’il n’est sorti de leurs rangs aucune apologie de l’esclavage americain. Je repugne k reconnailre le caractAre sacerdotal chez l’ffuteur d un ecrit recent el anonyme intitule : De I’etdavage dans les Etats Confdddres, par un Busunmaire*. Si l’auteur de ce livre honteux etait vraiment prAtre, ets’illui avail suffi, comme il I’affirme, de vivre parmi lesplanteurs
4 En 1 774 dans Unites les colonies anglaises dont sont sortis les fitats-Unis, on ne comptaitque 19 prttres. Le premier evdque y parut en 1790.
En 1(39, I’figlise comptait, aux £tats-Unis, 1 province, 16 diortses, 18ev6ques, 478 prttres, 418 £glises. En 1849, 3 provinces, 30 dioceses, 26 ev^ques, 1000 prt- tres, 966 £glises. En 1859, 7 provinces, 43 diortses, 2 vicariats, 45 £v4ques, 3108 prttres, 2334 eglises.
Voir d’aitlenrs l'article de M. Rameau dans le Correspondent de janvier 1865.
1 CbexDentu 1865, in-8*.
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L.V VICTOIRK DO NORD
am6ricains pendant vingl-quatre ans, pour arborer hautement l'uli- lit6 et la 16gitimil6 de 1‘esclavage des noirs, pour voir m6me dans leur servitude la seule barriere possible & leur libertinagc, le fail seul d’une poreillc perversion du sens moral et dc la conscience sacerdo- tale, conslituerait le plus cruel argument contre le regime social et religieux des pays a esclaves.
Maisen dehors de la question de l’esclavageetavant m6me quo ccttc question n’eut occupe les esprits, il rdgnait rhez un trop grand nom- • bre de catholiques une aversion instinctive contre l’Amerique, dontil convient peul-6lre de faire reinonlcr l'origine au comte deMaisIre. Son influence, on le sail, pour les plus grandes com me pour les moindres questions, a 616 inconlestablement la plus puissanle de loules cel les qu’ontsubiesles catholiques dudis-neuvi6mc si6cle. Ce grand homme, commc plusieurs de ses pareils, doit encore plus dc renomm6e 6 ses exag6ralions qu’a son grand esprit. Ses paradoxes ont eu plus de succ6s, et surtout plus de relenlissement, que le g6nie et le bon sens dont il a laiss6 sur la plupart de ses oeuvres l’ineffa^able cmpreinte. On con- nait encore trop pcu l’exquise tendresse de son dme charmante, et bien moins encore la fiere ind6pcnd:mce, 1’ esprit & la fois chevale- resque et liberal, la politique lumineuse et souvent tr6s-avanc6e, qu’onl r6v616es en lui ses diverses correspondances r6cemment pu- bli6e$. Maisil n’aimait pas les Etats-Unis : leurorigineclleursprogres contrariaient quelques-unes de ses theories les plus chores. II eut le tort de transformer ses r6pugnances en proph6lies. On sail quel a 616 le sort de celle qu’il avail formul6e sur la capitale des £lals-Unis :
« Ou celte ville ne subsistera pas, ou elle s’appellera d un autre nom que celui de Washington. » 11 6tait plus sens6 quand il se bornait k exprimer 1’impatience que lui inspiraienl les admirateurs outr6s du nouveau peuple am6ricain. Laissez, disait-il, laistez grandir eet en- fant au maiUot.
Eh bien ! pouvons-nous dire a noire tour, l’enfanl a grandi ; il esl devenu homme, et l’homme est un g6ant. Ce peuple dedaign6, m6- pris6, calomni6 et raill6; a montre dans la crise la plus formidable qu’aucune nation puisse traverser, une 6nergie, un d6vouement, une intelligence, un h6roisme qui ont confondu ses adversaires et surpris ses plus ardents amis; il monte aujourd’hui au premier rang parmi les grands peuples du monde.
M. de Maistre mort, et en pr6sence de la grandeur croissanle des Etats-Dnis, on cherchait d’autres arguments pour les d6crier. On nous disait : Ne nous parlez pas de votre Am6rique, avec son esclavage ! Eh bien, noire Am6rique, la voilii d6sormais sans esclaves. Parlons-en done, bien que plusieurs voulussent sans doule en parler moins que jamais.
AUX STATS-IJSIS.
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On nous disait surlout : Le peuple amAricain ne saura pas faire la guerre, el, s'il la fait, victorieux ou vaincu, il tombera en proie k un gAnAral heureux, a un Bonaparte quelconque, qui coinmencera par la dictalure el finira par le despot isme, que ses conciloyens supplioront de les sauver, el qui, cn Acharige de ce salut, lour dcmandera ce que demandetil tous les Cesars, l’lionneur el la liberty.
Or 1’ experience est faile, au moins sur ce point, el jamais prophet ie n’a re$u un plus sangianl dementi.
Les Americains ont su faire la guerre; ils l'ont faite avec une Anergic, un elan el une perseverance inconlestables ; ils n'ont eie la proie d’aucun general, d’aucun dictaleur, d’aucun Cesar. Ils onl fail la guerre la plus difficile et la plus terrible de toutes, la guerre ci- vile. Ils l’ont faite cn y dAployant toutes les qualitAs, toutes les vertus qui font les grandes nations mililaires. Ils l’ont faite sur une Acbelle immense. Aucune nation moderne, pas mAme la France rAvo- lutionnaire avec ses qualorze armAes, n’a mis sur pied ct lancA sur l’ennemi des forces proportionncllcment aussi nombreuses, aussi dis- ciplinAes, aussi bien AquipAcs, aussi solides au feu. Ces marcbands ont jetA en proie aux exigences de la guerre leur fortune, avec autant de prodigalitA que les boutiquiers anglais dans leur lutte conlre Napoleon, et leurs enfants, avec autant d’hAroique abnega- tion que la France de 1792 dans sa lutte contre l’Europe. Pen- dant que de ridicules dAtracteurs dAnon$aient a l’Europe ces prAten- dues armAes de mercenaires, en leur infligeant le mAme stigmata qua nos jeunes el vaillants compalrioles de Caslel-Fidardo, plusd’un million de volontaires prenaient les armes, d’un cdlA, pour la defense de 1’Union et des institutions rApublicaines ; de l’aulre, pour le maintien de leur indApendance et de leurs franchises locales 1 ; et de ce million d’hommes armAs, pas un, gr&ce au ciel, n’est devenu ni le bourreau desesfrAres, ni le satellite d’un dictaleur.
Ces forces ont AtA commandAes par des gAnAraux improvises, dont plusieurs se sonl monlrAs dignes de marcher sur les traces des plus cAlAbres d entre nos gAnAraux rApublicains, par des hommes qui ont AtA non-seulement des mailres en laclique et en stratAgie, mais des hAros de courage et de modAration, de grands politiques el de grapds eitoyens. Grant et Lee, Burnside et Sherman, Mac Clellan et Beau- regard, Sheridan et Stonewall Jackson, ont inscrit leurs nomsau grand litre de l histoire.
* Le rapport du ministre de la gaerre, en decembre 1862, constatait dAja la pre- sence de buit cent miile hommes dans les armAes i&dArales, dont les dix-neuf ving- tiAmes Ataient enWMAs volontaires. Depuis lors la proportion a dft changer, et la con- scription a AtA appelAe, comme en France, It remplir les vides opArAs par une gaerre
tt
LA. VICT01RE DU NORD
Je nomme a dessein les premiers parmi les chefs des deux armies ennemies. Car, je le reconnais avec bonheur, c’est au peuple amiri- cain tout enlier qu’est dti, sous ce rapport du moins, l’hommage de notre admiration. Les deux partis, les deux camps ont montri le mime courage, la mime indomptable tinaciti, la mime merveil- leuse inergie, la mime intripide resolution, la mime abnegation, le mime esprit de sacrifice. Toutes nos sympathies sont pourleNord, mais ellcs n'dtent rien & l admiration que nous inspire Theroisme du Sud. Diployi au service de l'injustice et de l’erreur, ce n’en est pas moins de l’h6roIsme. II parait mfime certain que les Su- distes ont montri plus de merite militaire, plus d’inergie et de talent, plus d'ilan et d’iclat que leurs ennemis, surtout dans les premiers temps de la lutte. Comment ne pas les admirer, tout en regrettant que de si hautes et si rares qualitis n’aient point iti consacries k une cause plus irriprochable ! Quels hommes, et aussi, et surtout, quelles femmes ! Filles, Spouses, mires, ces Amiricaines du Sud ont fait revivre, en plein dix-neuviime siicle, le patriotisme, le divoue- ment, 1’abniga lion des Romaines du plus beau temps de la Ripublique. Les Clilie, les Cornilie, les Portia ont trouvi leurs rivales dans mainte bourgade, mainte plantation de la Louisiane ou de la Yirginie. Nous avons vu jusque parmi nous de faibles filles, de modesles femmes siparies de leurs proches, dipouillies de leur fortune, mais Hires de leur pauvreti, risignies k la ditresse, & la ruine, & l’exil, heureuses d’offrir ainsi leur sacrifice k la cause nationale, repoussant avec indi- gnation la moindre idie d’une transaction, d’une concession, portant dans leur regard enflammi la marque incontestable de la ditermina- tion qui fait les races viriles. De telies hiroines faisaient comprendre, mieux que tous les discours, de quels soldats devaient itre composies les armies de la confidiration, et quels prodiges de risolution et de persivirance il faudrait pour en venir & bout. Cesprodiges, on les a faits, mais au prix d’efforts et de sacrifices qui consistent 1’opiniitre bravoure et l’itonnanle soliditi des soldats du Sud. II a fallu quatre ans d’efforts et sept cent mille hommes pour venir a bout de Richmond, la capitate du Sud. Aucune forteresse, pas mime Sibastopol, n’a cotiti tant d’elforts, et quant aux capitales europiennes, il n’en faut pas mime parler. On sait comment elles tombent : Berlin, Yienne, Madrid, Paris sont 1& pour le dire.
La guerre avait mal commenci pour le Nord. Cette subite iruption avait ameni toutes les scories de l’itat social & la surface et les avait
italies a tous les regards. La corruption, la trahison ont cyniquement
*
des plu9 sanglantes. Ges chiffres laissent en dehors l'arm&j conf(Sd&r6e, inftrieure en nondMre, mais toojours <6gale en courage et en discipline k rarm6e ffed&rale.
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AUX ETATS-UttlS.
fait lenr mAtier. Mais bientAt elles ont etA dAnoncAes, contenues, domplAes, et refoulAes dansle nAant; vqincuesbien avant l’ennemi dont dies Ataient les meillcurs auxiliaires, elles ont disparu. Comme 3 arrive souvent aux bonnes causes, aux causes que Dieu bAnit, 1’Apreuve a profitA a celle des AmAricains. Glle les a ApurAs, avertis, corriges.
Ainsi done, cette rApublique que l’on croyait absorbAe dans le nA- goce et la culture, AnervAe par le lucre et le bien-Atre, incapable des efforts et des sacrifices que comporte la guerre, cette rApublique s’est dAja montrAe l’Amule el la rivale, sur les champs de bataille, de la rA- publique romaine et des rApubliques grecques. Comme celles-ci, elle aura dAjA eu ses deux guerres hAroiques, sa guerre MAdique et sa guerre du PAloponnAse. La guerre de 1774 a 1782, qui a crAA sa nalio- nalitA, et la guerre de 1 861 A 1865 qui a dAlruit l esclavage, ont gravA son ran au premier rang des fastes de la gloire militaire. Cela peut Ini sulfire ; puisse-t-elle en rester la dans cette voie sanglanle et pA- rilleuse !
Mais ces vertus militaires, si rares et si hAroiques qu’elles soient, semblent banales et insignifiantes auprAs des vertus civiques dont la raceamAricaine s’est montrAe pourvue pendant tout le cours de cette gnerre formidable. Aucune libertA supprimAe, aucune loi violAe, au- enne voix AlouffAe, aucune garantie abdiquee, aucune dictature im- ploree, voilA la vraie merveille et la suprAme victoire. Ecoutez et voyez, peoples de l'Europe, peuples Aperdus dAs qu’un danger intArieur vous menace ; peuples hAroiques, vous aussi, sur les champs de bataille, mais intimidAs et dAmoralisAs par tout danger civil ; peuples serviles que la dictature temporaire ne suffit ni pour rassurer, ni pour consoler, et qui ne vous sentez A l’aise et a l’abri que dans l’ab- dkation.
Belas, oil est la Nation europAenne qui etit supportA avec ce calme et cette rAsolulien la formidable Apreuve de la guerre civile et de la fiAvre militaire? Ce n’est pas assurAment la France, notre chAre palrie, elle que la seule apprehension de ces maux a rAduite A de si etianges extrAmitAs, elle qui n’a pas pu supporter trois jours d’orage et trois ans d’incerlitude, sans faire litiAre de toutes les idAes, de toutes les institutions, de toutes les garanties qu’elle avait si souvent procla- mees, rAclamAes ou acclamees avec une passion si effrAnAe. Qu’on s’ ima- gine done la France en proie pendant quatre mois seulement A une guerre intestine comme celle qui depuis quatre ans a ravagA une par- tie des Etats Unis! Qu’on se reprAsente nos villes bombardAes, nos routes dAfoncAes, nos campagnes dAvaslAes, nos chAleaux pillAs, nos villages incendiAs ou ravagAs par une soldatesque irrilAe, nos fieuves et nos canaux interceptAs, nos chemins de fer dAmolis, nos rails
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LA YICT01RB DD NORD
arrachAs, notre commerce suspendu, noire Industrie dAsolAe, touies nos affaires enraytes et toji? nos inl^rfils compromis ; et tout cela pour unequestion de droit const itutionnel oud'humanilA religieuse! Oui, qu'on se figure la France actuelle soumisc a un tel regime. Avouons-le franchement, il n’y aurait pas de violence, pas d’cztrA- mit& qui ne sembldt legitime pour le faire cesser. II n’y aurait pas de caporal, pas de charlatan assez dAcriA pour n’Alrc pas regard^ comme un Messie, 5 la seule condition de meltre un terme k la lulte, de faire rAgner l’ordre et la paix A lout prix.
Sous tous les rAgncs qui se sonl succAdcs chez nous, les crimes politiques on l toujours servi de motif ou de prAlexte k dcs boule- versemenls dans la legislation. AprAs 1’altcntat dc Louvel, comme aprAs eeux de Ficschi et d'Orsini, des lois d 'exception, des aggra- vations de pAnalilA, des cliangemenfs de jnridiclion, des nit-sures dites de sAretc gAnArale, onl AtA aussitdt reclames el dAcretAs. Si demain le bras d’un regicide trancliait par un ISclie assassinat la vie du souverain que le pays s’esl donnA, une moitie de la France demanderait a l’instant que 1’auti'e moitie fAl mise au cadiot. La de- mocratic amAricaine n’6prouve ni ces paniques, ni ces tureurs. Un scAIArat fait tout k coup disparaitre, au milieu d’une lete, le clief de l’£tat, l’liomme qui atlirait tous les regards, dominait tous les cueurs, rassurait toutes les inquietudes. Mais ni la consternation, ni l’indi- gnation ne font perdre la tete A ce people vraimenl grand. Au lende- main du forlait comme la veille, it reste maltre de lui-mAme et de sa destinAe; pas une loi n’est meconnueou changee, pas un journal n’est supprime ou suspendu, pas une mesure violente ou exccptionnelle ne vient troubler la marche rAguliAre el naturelie dc la sociclA1. Tout
1 Ce qui prAcAde etait Acrit, lorsque estarrivAe, en Europe, la nouvellede la prime oflerte pour l'arrestation de Jefferson Davis et des provocations dAte*lables k la vengeance et aux supplices qui souillent une portion de la presjp aniAricaine. Si ces provocations sont suivies d’elTet, nous aurons un nouveau mAcompte, une nou* velle douleur a inscrire dans les annales de Phumanite moderne & cite des crimes et des folies de la revolution fran^aise. D£s a present, nous partageons 1 horreur que de (els excAs inspirent a tous les honnAtesgens. Mais si, comme nous voulons . ncure PespArer, ces violences de langage, inexcusables mAme aprAs un attentat aussi mon- strueux que le meurtre de M. Lincoln, n'aboulissent a aucun acle d'inhumanilA, on nous permettra d'y voir une nouvelle preuve de la force morale de l’esprit publie en AinAri jue, qui aura su rAsisler k de si dAlestables excitations.
Qiiant a lamtse d prix prononcAe conlre les complices ptAswnes de lassassinat, il faut se rappeler, tout en rAprouvanl ce vestige d une legislation Iwrbare, que cVst une forme de procAdure provenant de Pabsence de tout niinistAre public, de toule gendarmerie dans les pays habitus par la race anglo-snxonne ; elle esi employee tous les jours en Angleterre, et Pa ete encore tout demierement k Poc. asiou d un assassinat commis en chemin de fer, aux environs de Londres et donl I auteur s’Alait rAfugiA en AmArique, Il Caul encore noter quil s’agit seulement de V arret la-
AOX fcUTS-DSlS. * 15
resle dans l’ordre accoutumA. L’AmArique, calme el stire d’ellemArae au milieu de sa poignante douleur, pourra moritrer ce noble spectacle avee une lAgilime fiertA A ces journaux officieux de Palis, panAgy- risles allitrAs de toules les repressions el de toutes les usurpations qui osent bien lui prAclter la moderation.
Le peuple americain n’a done pas songe A recourir au suicide pour se dArober aux angoisscs de la peur et de l’incerlilude. 11 n’a pas imifA ces malades dAsespArAs, qui prefArent la mort immediate a la prolongation de leurs souffrances. A la dilfArence de ces insen* ses dont parle saint Augustin, qui, par crainle de perdre les biens d’ici-bas, oublient les biens celestes, et ainsi perdenl tout ‘, les Americains ont garde avant tout les biens superieurs, l’honneur et la liberie : a aucun prix ils n'ont voulu les sacritier au resle ; . et le resle leur a elA donne ou rendu par surcroit. Us n’ont rien perdu, ils oat (out sauve. De plus, ils ont donne au inondc le glorieux et consolant exemple d’un peuple qui se sauve sans dictature el sans proscription, sans Cesar et sans Messie, sans devenir infldAle A son hisloire et a lui-mAme.
La statue de la liberie, pour employer le vocabulaire terroriste, n’a jamais ete voilAe. L’etat de siege est demeurA inconnu dans toutes les villes qui n’Ataient pas assiAgAes ou immAdiatement menacAes par I’ennemi. A moins que tous nos renseignements ne soienl conlrouvAs, il faul bien reconnoitre que l'ordre legal a AtA par lout maintenu et respectA. Tous les journaux ont continue A pa rail re sans restriction ai censure quelconque : bien plus, les correspondents notoirement connus des journaux Atrangers les plus hosliles A la cause du Nord, ont pu continuer A Acrire et A cxpAdier leurs lctlres A 1'adresse de l’Europc, sans courir aucun danger ni renconlrcr aucune enlrave. En dehors des locaiilAs ou se poursuivaient les operations militaires, la liberie individuelle’n’a subi aucune diminution ; la libertA dissocia- tion n’a suscitA Aucune defiance et aucune classe, aucune catAgorie de ciloyens n’a AtA dAclarAe suspecte ou mise hors la loi.
Les violences de la foule, brulales et redoulables dans loute dAmo- cralie, ont dd cerlainement produire des scAnes rApugnantcs, des acles d’oppression isolAs ; mais qui voudrait confondre ces aberra-
lion de Tinculpe et nullement de sa proscription. On offre une somme A celui qui procurera Parreslation, et non a celui qui apporlera une tAte, comme on le suppo- serail d’aprAs certaines traductions. EspArons enfin qu'U ne s'agit, en tout cela, que de mesures ^implement comminatoires et destinies i tromper les passions surexd- tees des masses, sans les salisfaire; comme ces mandats d'amener que nous arons n alBches sur tous les murs de Paris, en 1848, contre MM. Guizot et DuchAtel.
* Temporalia perdcre timuerunt, et ritam aetemam non cogilaverunt, et sic alrumque ' amiserunt .
I
IS
LA YICT01RK DU NORD
tions, toujours (emporaires bien que justement odieuses, avec les crimes dont les pouvoirs rAguliers, les Assemblies lAgislatives ont pris ailleurs l’initiative et la responsabilitA ?
S’il y a eu des libertis suspendues dans certaineslocalitis paries chefs mililaires, elles ont AtA aussitOt rAtablies par les supArieurs civils, et partout les gAnAraux ont montrA la sonmission la plus exemplaire envers les magislrats. Partout ilsont respectueusement AcoutA la voix de 1’autorilA civile et docilement obAi A ses lois. On ne cite pas de leur part un exemple d’outrecuidanceoud’insubordi nation : victorieux ou vaincus, pendant cette longue et cruelle lutle, pas un n’a dArogA & cetle loi fondamentale d’un pays libre et ordonnA ; pas un n'a montrA le moindre symptAme A rAaliser les predictions des faux prophAtes. « Nous allons voir ce que va faire maintenant Wellington, » disait Napolion apris son arrivAe A Saint-HAlAne ; ce grand contempteur de la conscience humaine ne comprenait pas qu’on ptit se contenter de vivre en honnAte homme et en simple pair d’Angleterre, fidAle aux lois de son pays, aprAs avoir gagnA la bataille de Waterloo. « Nous allons voir ce que vont faire Grant et les aulres gAnAraux victorieux, » disent maintenant k voix basse les dAtracteurs de 1’AmArique et de
ses institutions. Le glorieux vainqueur de Richmond leur a dAjA ripondu. PlacA A la tAte de la principale armAe fAdArale, il y a sept mois, et dijA investi d’une popularity redoutable, Grant a refusi de se laisser Ariger en compititeur de Lincoln, lors de la derniire Alection prisidenlielle : il a refusi la chance de devenir le chef de la ripublique A la place du « fendeur de bdches » qui lui avait confiA 1’ApAede la palrie pour la sauver, comme en effet il l’a sauvee.
Mais ce qui touche, ce qui console, ce qui ravit, c’est que jusqu’A pre- sent cette victoire est reside pure, aussi pure que lAgitime. Admettons, comme il le faul bien, qu’il y ait eu, de part et d’autre, dans I'aveugle- ment des combats, de ces excAs et de ces outrages profondiment re- grettables que semble autoriser encore, chcz les nations les plus civi- lisAes, le droit de la guerre. Admettons que certaines brutalitAs sol- datesqucs, bien que provoquAes, aient justement surpris et rAvollA la fiire indApendance des hommes et surlout des femmes du Sud. Ad- meltons, de la part des gens du Nord, certains acles de divastalion ou de reprAsailles que nous rAprouvons, tout en les metlanlbien au-des- sous de la fArocitA des Sudistes contre les prisonniers negres de l ar-
mAe fAdArale. 11 n’en demeure pas moins dAmonlri que jamais, A aucune Apoquc de l’histoire, une grande ulle politique n’a ili livrAe, que jamais une grande cause politique n'a Ati gagnAe, en coOtant aussi peu A la justice, A l humanilA, A la conscience humaine. Jamais grande guerre n'a AtA faite avec plus d'humanite.'
Prenons pour exemple les guerres de religion etcelles de la rAvolution
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ADX fiTATS-UNIS.
ches nous. Li aussi, comme dans l’Amdrique de nos jours, il s’agis-; sail de rdduire par la force une portion du pays insurge au seizidme sidcle, contrel’ordre ancien; au dix-neuvidme, conlre l’ordre nouveau. Que d’horreurs, que de menaces, que desupplices pendant cesanndes nefastes et dont les consequences pdsent encore sur noire vie nationale. Comparons sur tout les mesures ddcrdtdes par la Convention, et les borreurs commises par les gdndraux terroristes contre la Vendee, comparons les attentats commis hier encore par 1’empereur de Russie et ses agents conlre la Pologne insurgde et expirante, avec les lois et les actes du gouvemement amdricain contre les secession istes. Rien de plus analogue que la situation. Rien de plus different, gr&ce au del, que la repression. Quel contraste a la fois lamentable et glo- rieuxl La, en Vendee, en Pologne, et (ajoutons-le a l'adresse des de* tracteurs anglais de leurs frdres d’outre-mer) dans l’lrlande insurgee de 1 798, tout ce que l’imaginalion diabolique des tyrans et des bour- reaux a pu inventer de supplices, d’outrages, d’attentats contre la vie, la pudeur, la conscience et la pilie humaine ! Ici, dans l’Amd- riqne contemporaine, pas un crime, j’entends pas un crime public, avoue, officiel, dont on puisse rendre la nation responsable, pas un prisonnier massacre, pas un dchafaud politique. Rien, absolument rien de pareil aux actes des terroristes ou des Moscovites. Mi de- portations, ni tortures, ni executions militaires, ni fusillades, ni noyades, ni mitraillades. La liberie, la civilisation, la democratic n’ont a rougir de rien. Ces republicans d’outre-mer n'ont ni adopte oi applique 1’odieuse maxime qui justice la tin par les moyens. En cela ils ont creusd un abime non-seulement entre eux et tant de mo- narques ou de monarchistes ; mais entre eux et tant de republicans, auteurs, complices ou pandgyristes des excds qui ont ddshonord la revolution frangaise dans sa lutte contre une insurrection bien autre- mentsainteet bien autrement ldgitime que celle du Sud.
C’est surtout par le traitement des prisonniers et des blessds que se manifestent les progrds de la veritable bumanitd et de la civi- lisation chrdtienne. Nulle part ces progrds n’ont dtd plus dclatants que ches les Amdricains pendant cette demidre guerre. Les prison- niers que les nations europdennes, dmules des patens et des bar- bares, se croient autorisdes it dgorger, & fusilier, dds qu’il s’agit d’une guerre civile, comme l’ont tbit non-seulement les terroristes en Vendee, les Moscovites en Pologne, mais encore de nos jours et pen- dant si longtemps les Espagnols christinos ou carlistes ; les prisonr niers de la guerre civile, en Amdrique, sont traitds avec les dgards temoignds depuis longtemps par les nations chrdtiennes au courage malheureux. Aucun n’a dtd sdrieusement maltraitd ; aucun surtout n'a couni risque de la vie, et nous les verrons, nous les voyons ddjd,
In 1865. 2
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LA V1CT0IRB DC RORD
reparaitre et reprendre librement leur rang social dans leur patrie vaincue mais non asservie.
Quoi de plus beau que cette correspondence, publiie par tous les journaux, enlre Grant et Lee, enlre les deux grands chefs des deux armies, au moment de la capitulation des confidiris, du 7 au 9 avril ? Quel respect mutuel, quels egards, quelle dilicatesse dans l’expres- sion, quel soin scrupuleux des lois de l'honneur, en mime temps que des lois de l'humaniti ! Mais surtout quel milange heureux de digniti etde bonne gr&ce. On dirait ia reproduction, apris la bataille gagnie, de la fameuse rencontre des gardes fran$aises et anglaises it Fonte- noy, n’Atait-ce un certain sentiment plus grave, qui ripond a la graviti des intirits engagis dans la lutte, et k la conviction morale et spontanee de tous ces vaillants hommes, volontairement engages dans le conflil dont ils se sentent tous responsables devanl Dieu et devant leur conscience.
Quant au soin des blessis, quant au progris immense de 1’huma- niti dans Get ordre, il faut lire le livre que vient de publier, & Paris mime, un Amiricain bien connu et eslimi de tant de Fran$ais. Sous un litre modeste 1 ce volume cache des trisors de consolation et d’admiration. II n’existe peut-itre aucun ouvrage au monde qui rende micux compte des merveilles que peut accomplir ( initiative unie & la discipline ; aucun qui apprenne mieux ce que peut faire une nation virilement inspirie par la religion et la liberti, si- rieusement ilevie & l’icole de l’effort sponlani et de la conGance en soi. A citi de la lutte perpituelle du divouement individuel contre la routine bureaucratique, on y rencontre d’admirables et toutes nouvelles inventions de l’industrie humaine et de la gini- rositi chritienne pour soulager d'hirolques souffrances. Soixante millions de francs recueillis par des coileclcurs volontaires, tant d’autres millions d’objels en nature priparis ou ricollis par les femmes amiricaines; toutes ces ressources mises en oeuvre avec autant de bon sens que de presence d'esprit, par une armie de mide- cins, de ligistes, de ministres de la religion, de nigociants, d’itu- diants, tous empressis de prodiguer leur temps, leur divouement, leur intelligence, au service deleurs proches; tous distribuantindis- tinctement ces bienfaits aux amis comme aux ennemis couchis cite & cite dans les mimes ambulances, sur le mime lit de douleur : voili certes un tableau qui fait honneur k la race humaine, et par-dessus tout & la race amiricaine, mais aussi un spectacle qui remplit le coeur
1 La e ommission sanitaire des Etats-Unis, son origins, son organisation et ses risultats, avec une notice sur les hdpitaux militaires aux Elats-Unis et sur la ri- forme sanilaire dans les armies europiennes, par Thomas W. Evans. Paris, Dentu
1885.
m fcTATs-cnis.
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desAmoliorfs les plus douces et lespluspures. On bAnitDieu dece pro- grAs incontestable, de ces angoisses ApargnAes, de ces larmes essu- yAes, de toutes ces misAres soulagAes par une inspiration qu’il doit Atre assurAment permis de faire remonter jusqu’A lui1.
A la me de cette reunion des vertus militaires et civiles au sein d'une mAme nation, n’avions-nous done pas raison d’affirmer que le peuple des Etats-Unis a gagn A le droit d’Atre placA au premier rang des grands peuples modernes? Cette grandeur sera encore longtemps contestAe et dAleslAe ; mais chaque jour elle devra Atre plus chAre am coeurs gAnereux, aux coeurs vraiment chrAtiens, pour avoir AtA dAfinitivement fondAe sur le plus grand acte de l’histoire contempo- raine, sur 1’abolition de l’esclavage chez